Déclin de SEGA - de l'arcade à Sonic, en passant par Joypolis
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Ascension et chute de SEGA
Nous avons récemment évoqué les difficultés rencontrées par SEGA dans le domaine de l'arcade. Nous avons également évoqué Joypolis, parcs d'attractions d'intérieur détenus par SEGA, dont la plupart se situent maintenant en Chine.
Il y a une raison à cela, qui est très simple : depuis 2016, la société China Animation est devenue l'actionnaire majoritaire des structures Joypolis, qui appartiennent donc de facto à la Chine !
Naissance de l'entreprise
L'écroulement de la firme d'origine hawaienne est donc de plus en plus visible ! Et c'est d'autant plus dommage que l'on parle ici d'une entreprise presque centenaire, née au cours de la Seconde Guerre Mondiale, bien avant le débarquement des Américains sur les plages de Normandie.
Pour être précis, trois hommes d'affaires, Martin Bromley, Irving Bromberg et James Humpert, fondèrent d'abord une société du nom de Standard Games à Honolulu. Ils voulaient vendre des machines à monnayeur (notamment des roulettes de casino) aux bases militaires américaines.
Cette société fut revendue en 1945, mais eut un successeur direct : Service Games, qui déménagea au Japon pour une bonne et simple raison : le gouvernement américain avait décidé du bannissement des machines de jeu de son territoire ! De nos jours, ce type de loi est toujours en vigueur dans une partie des États-Unis, mais pas tous.
Lorsqu'on pense “États-Unis” et “jeux d'argent et de hasard”, un endroit revient systématiquement, c'est bien sûr l'État du Nevada, et sa célèbre capitale Las Vegas. Petite parenthèse, le fait que la capitale des jeux d'argent soit située là n'est aucunement dû au hasard, le Nevada étant l'un des neuf États n'imposant pas de taxe sur le revenu !
Pour revenir à Service Games, ses dirigeants n'étaient certes pas de bons samaritains. La société fut dissoute le 31 mai 1960 suite à une investigation menée par le gouvernement américain, ayant pour objet des pratiques commerciales criminelles !
En réaction, l'un des associés, Bromley, crée deux sociétés avec lesquelles il rachète tous les actifs de Service Games. Les deux sociétés fusionnent en 1964 et conservent un seul nom : SEGA Inc. L'année suivante, une société de photomaton tokyoïte fondée par un officier américain de l'US Air Force rejoint la société, qui change de nouveau de nom et devient SEGA Enterprises Inc. C'est à cette période que SEGA cesse de s'intéresser au public militaire.
SEGA investit l'arcade
L'explosion de l'arcade eut d'abord lieu dans les années 70. De nouveau sous contrôle purement américain, Sega profita de ce boom jusqu'en 1982, année charnière où l'arcade connut un premier déclin. En 1982, le président de la branche japonaise, Nakayama, décida de lancer l'entreprise dans la grande aventure du jeu vidéo, et de concurrencer Nintendo, qui s'apprêtait à lancer la Famicom (ou NES, pour Nintendo Entertainment System, dans le monde occidental).
La seconde partie des années 80 et l'ensemble des années 90 verraient un renouveau de l'industrie de l'arcade. L'attrape-peluche OVNI de SEGA, conçu en 1985, était en 2005 l'attrape-peluche le plus commun que l'on pouvait trouver au Japon. Un tel succès explique sans doute pourquoi les constructeurs du monde entier, à commencer par les européens, ont conçu leurs propres attrape-peluches à thème OVNI !
« SEGA, c'est plus fort que toi »
Dans le marché du jeu vidéo, SEGA concurrence donc Nintendo avec sa Master System, puis sa Genesis, aussi connue sous le nom de Mega Drive - mais cette console ne connut pas un très beau lancement, souffrant du succès phénoménal du plombier Super Mario.
C'est là que l'on en vient à Sonic The Hedgehog. La mascotte, créée en 1990 par Yuji Naka, Naoto Oshima et Hirozaku Yasuhara, sous la bannière de la Sonic Team, pour concurrencer le moustachu italien à salopette rouge et son frère Luigi, devait devenir un personnage sur qui compter, et une mascotte aussi importante, connue et implantée que son concurrent ou que Mickey Mouse, Winnie l'Ourson ou Bob l'Éponge.
Le bleu de SEGA, les chaussures de Michael Jackson et la personnalité de Bill Clinton formeraient à ce titre l'essentiel d'un personnage complètement anti-Mario, aussi opposé au plombier que le personnage de la bande dessinée franco-belge Spirou ne l'est par rapport à Tintin.
Mario est un personnage très enfantin, universel, tout-public surtout. Sonic déborde au contraire de caractère ; on peut même dire sans se mouiller que c'est un bad boy. Et c'est sur la vitesse que Sonic va se démarquer, bien que dans ses premières aventures, on n'atteigne que très peu souvent la vitesse de pointe, faute à un level-design extrêmement rigoureux.
En 1994, SEGA lança un nouveau concept : des parcs d'attraction d'intérieur. Au Japon, ils avaient pour nom Joypolis. Il était prévu qu'une centaine de ces parcs se déploient dans le monde avant l'an 2000, mais seuls deux parcs ouvrirent en-dehors du continent asiatique : SegaWorld London, et Sega World Sydney, en 1996 et 1997.
En 1997, d'ailleurs, SEGA envisagea une fusion avec le fabricant de jouets japonais Bandai. La fusion des entreprises sous le nom Sega Bandai faillit même avoir lieu, mais fut annulée ! Bandai se contenta de signer un simple partenariat commercial. À la même époque, Bernie Stolar, qui avait auparavant travaillé pour Sony et avait été embauché par Sega, devint président de la firme.
Sur le marché du jeu vidéo, les décisions de SEGA ne porteraient pas toujours leurs fruits ! Deux nouvelles consoles devaient voir le jour, la Saturn et la Dreamcast. La Saturn fut un échec (d'ailleurs Stolar, qui fut renvoyé de son poste en 1999, ne croyait pas en cette console), d'autant plus cuisant qu'aucun jeu de plate-forme Sonic n'y fut publié, malgré le projet Sonix X-Treme qui fut annulé - ce fut en revanche la console sur laquelle on put découvrir le poétique jeu Nights into Dreams, ou encore l'excellent Panzer Dragoon.
La fin des consoles SEGA
La Dreamcast fut le mouvement de trop pour SEGA, et ce malgré le passage en 3D très remarqué de Sonic dans ce qui fut l'une des seules - et trop rares - réussites notables du hérisson dans ce domaine : Sonic Adventure.
Adventure donc, un jeu qui devait encore une fois se démarquer du concurrent Mario par le ton de son scénario, mais aussi par la variété de gameplay, assurée par des personnages éclectiques et étonnants - on pensera ainsi au manul Big, ou encore au robot E-102.
La Dreamcast, c'est aussi un nombre incroyable de jeux mythiques, dont la plupart sont encore réédités de nos jours sur les consoles actuelles et/ou sur PC : Jet Set Radio, Chu Chu Rocket, Space Channel 5 (qui a d'ailleurs été ressuscité en 2020 le temps d'un jeu en réalité virtuelle), ou encore Shenmue, mondialement connu, dont le troisième opus, véritable arlésienne, a fini par sortir en 2019.
Mais la Dreamcast s'est minée toute seule, d'entrée de jeu. Elle aurait pu faire beaucoup plus de ventes : les précommandes au Japon ont dû être arrêtées prématurément, faute de matériel !
La concurrence de plus en plus rude allait achever une console trop en avance sur son temps - car la Dreamcast était en avance sur son temps, pouvant techniquement rivaliser avec ses futures concurrentes, Playstation 2, Nintendo Gamecube et XBox. Également, la Dreamcast fut l'une des premières consoles de salon très facilement piratables, précipitant d'autant plus la chute.
En fait, la Dreamcast ne rivalisait pas seulement avec ses concurrentes. Lorsque l'on dit qu'elle était en avance sur son temps, c'est notamment justifié par le fait que de toutes les consoles de jeu vidéo, ce fut la première qui proposa, avec notamment Phantasy Star Online, la possibilité de jouer en réseau - et si de nos jours c'est très commun, il faut bien voir qu'à l'époque, c'était une nouveauté, venue beaucoup trop tôt lorsque l'on considère les technologies alors disponibles. Nintendo s'y est d'ailleurs aussi essayé fin 2000 au Japon avec le jeu Pokémon Cristal, qui pouvait se connecter au réseau cellulaire.
C'est ainsi que SEGA s'est retiré du marché des consoles ; mais pas du jeu vidéo, ni de l'arcade. Le jeu vidéo a en effet continué jusqu'à ce jour, chez les concurrents. Chez Nintendo, la console Game Boy Advance accueillit cinq exclusivités, parmi lesquelles le très impressionnant Sonic Battle, probablement l'un des jeux les plus aboutis techniquement de cette console.
Sonic continua son bonhomme de chemin sur les consoles de tous les constructeurs, et l'on ne put que s'étonner de son amitié soudaine avec Nintendo, car non content d'offrir à ce dernier d'autres exclusivités mémorables (notamment une duologie Sonic Rush, dont le second, Rush Adventure, était au passage incroyablement complet), Sonic se fit rival sportif de Mario dans la série des Jeux Olympiques, et devint finalement l'un des personnages invités de Super Smash Bros.
Années 2000 - SEGA se modernise
Mais pendant ce temps, la société SEGA reste une société fonctionnant par actions. En 2003, le groupe Sammy devient l'actionnaire majoritaire !
La fin des années 90 signe le second déclin de l'arcade ; mais comme vous le savez déclin n'est pas synonyme d'arrêt. Au Japon, SEGA lança la Derby Owners Club. Cette machine ne rencontra d'ailleurs pas le succès en occident. En réaction, Sega Amusements Europe, qui venait d'être créée pour commercialiser les arcades SEGA sur notre continent, décida de développer des jeux spécifiquement destinés au marché occidental.
Parmi les autres grands succès de SEGA, il serait injuste de ne pas mentionner la série des Hatsune Miku : Project DIVA, qui existe depuis 2009. Ces jeux musicaux font appel aux célèbres mascottes de Vocaloid.
Ces mascottes, créées par des sociétés tierces comme Crypton Future Media, sont les incarnations de banques de voix interprétées par le logiciel de Yamaha, qui offre littéralement au public japonais des chanteurs et chanteuses virtuels utilisant la technologie de la synthèse vocale, et qu'il est possible de produire en concert par le biais d'hologrammes impressionnants.
En 2008, la firme publie son premier jeu smartphone, une version iOS de Super Monkey Ball. Les années 2010 sont le début du déclin des ventes de jeux au format matériel (cartouches, disques, etc), ainsi, en 2012, SEGA ferme cinq bureaux en Europe et en Australie.
Cependant les années 2010 sont l'occasion pour SEGA d'acquérir de nouvelles entreprises. En 2012, SEGA rachète plusieurs studios de développement mobile. En 2013, SEGA acquiert ATLUS, firme existant depuis 1986, mondialement connue pour ses séries Megami Tensei, Persona, Etrian Odyssey, ou encore Trauma Center.
L'amitié entre ATLUS et SEGA n'était d'ailleurs pas nouvelle, puisqu'ATLUS, non content d'avoir conçu le jeu d'arcade BlaZeon en 1992, s'était effectivement associé avec la firme au hérisson en 1995 pour créer Print Club, la toute première arcade photomaton de l'Histoire.
Bon an mal an, SEGA est parvenu à subsister et à améliorer ses bénéfices d'année en année de 2005 à 2015, en restant pourtant dans une situation globalement très compliquée.
Chute de l'arcade et restructuration
2015 annonce un tournant pour SEGA qui se restructure. C'est d'ailleurs en 2016 que la firme se sépare de ses parcs à thème Joypolis, l'actionnaire majoritaire devenant China Animation. Le quartier général de SEGA déménage et change de quartier tokyoïte en 2018. 2018 a d'ailleurs été une année de changements pour SEGA, qui a vu se succéder deux présidents en Europe (dont Gary Dale, un ancien de Rockstar Games), et un nouveau président pour la branche américaine.
Le rachat d'ATLUS fut probablement l'une des meilleures opérations réalisées par SEGA ces dernières années, les résultats de vente des jeux Yakuza 6 et de Persona 5 en occident ayant été satisfaisants. (Notez toutefois que sur ces deux jeux, seul Persona vient d'ATLUS, la franchise Yakuza appartenant à SEGA depuis toujours)
Malheureusement, SEGA a souffert en 2020, comme beaucoup de sociétés, de la pandémie de Covid19. Pour rebondir, SEGA vient de revendre toutes ses salles d'arcade à la société Genda ; cependant, pour le moment, le développement spécifique de jeux d'arcade continue.
Quant au jeu vidéo, il est difficile de dire si la série Sonic est aussi rentable qu'elle ne l'a pu l'être autrefois. SEGA restera certainement encore longtemps dans le paysage, grâce à de malins mouvements financiers : le passage au tout-digital, le rachat d'Atlus, et la revente de locaux à d'autres sociétés étaient, au vu du contexte, les actions les plus intelligentes à mener.
Forte de licences aussi variées et puissantes que Sonic, Persona et Hatsune Miku (Sonic et Miku étant d'ailleurs très bien représentés dans le domaine de l'arcade), SEGA reste un acteur majeur de l'industrie, aussi bien du jeu vidéo que de l'arcade. Nous surveillerons donc avec d'autant plus d'intérêt les mouvements opérés par la firme du hérisson bleu.